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Actualité. 2017 : une année catastrophique pour les manchots !

Par Guillaume Lecointre & Annabelle Kremer.

Après une année 2015 désastreuse pour les colonies (la pluie avait mouillé le plumage des oiseaux qui a gelé et entraîné leur mort) et une année 2016 meilleure en terme de reproduction, voilà que le bilan 2017 est à nouveau bien médiocre pour la survie des manchots Adélie et des manchots Empereurs. En se promenant à proximité des manchotières, on peut constater que très peu de poussins ont survécu et que beaucoup de couples adultes ont déserté la base…

On vous explique pourquoi après un échange avec Yan Ropert-Coudert du programme l’AMMER 1091.

Tous les ans au mois de novembre les manchots Adélie viennent ici à Dumont d'Urville pour se reproduire. Le mâle construit un petit monticule de cailloux sur lequel il attire la femelle. Après la fécondation, la femelle pondra un ou deux oeufs. Lorsque l'oeuf éclot en décembre, une course contre la montre commence pour les deux parents. Le poussin n'a que trois mois d'été pour atteindre la taille adulte. Un record ! La femelle part se nourrir en mer, tandis que le mâle garde le poussin. Puis c'est au tour du mâle de partir, et ainsi de suite, chacun ramenant de la nourriture pour le poussin, 24 heures sur 24. Cette nourriture, c'est du krill, sorte de petite crevette que les parents vont chercher en mer, et qu'ils régurgitent dans le bec du petit. Il arrive un moment où le poussin demande tellement de nourriture que les deux parents partent pêcher en même temps. Dans ce cas-là, les poussins se regroupent en "crèches" gardées par un adulte ou deux. Finalement, durant la seconde semaine de février les poussins perdent leur duvet gris. Fin février ils ont leur plumage adulte, puis finissent par rejoindre la mer.

Poussin manchot Adélie © MNHN / MSA / IPEV © IPEV/MSA/MNHN Poussin manchot Adélie © MNHN / MSA / IPEV

Tout cela se passe lors d'un été normal, lorsque la mer est proche. Le problème, cette année, c'est que la mer est restée gelée en surface, de la côte jusqu'à une distance de 80 kilomètres au large. Les manchots Adélie ne peuvent plus plonger là, directement. Ils sont obligés de marcher de longs trajets sur la banquise avant d'avoir accès à la mer libre. Chaque parent revient de la pêche très tard, et le poussin est très affamé. Sa croissance n'est pas assez rapide. C'est alors l'échec. Soit le poussin meurt de faim, soit il est abandonné par ses parents. Car les adultes sont affamés aussi. Ce qu'ils mangent est consommé par ces longs trajets et au bout du compte, ils ne mangent pas assez. Les parents sauvent leur vie en quittant la colonie. Sans doute l'an prochain réussiront-ils à faire vivre leur petit. Un poussin abandonné subit l'agressivité des autres manchots-Adélie. Il mourra tôt ou tard. Dans la nature il n'y a ni méchanceté ni bonté. Il n'y a que des capacités de survie, acquises au cours de millions d'années d'évolution.

Skuas, prédateurs de poussin Adélie © MNHN / MSA / IPEV © IPEV/MSA/MNHN Skuas, prédateurs de poussin Adélie © MNHN / MSA / IPEV

Nous n'avons pas parlé des prédateurs. Le skua est un gros oiseau de couleur brune, au bec coupant. Il appartient à la famille des goélands. Il attaque et mange les poussins des manchots Adélie. Lorsque la reproduction de la colonie de manchots est en échec, comme cette année, beaucoup de poussins sont fragilisés, et meurent. On pourrait penser que cela profite au skua. En réalité, ce n'est pas le cas. Les poussins de manchots meurent, mais trop tôt. Cette année, au 13 janvier, il n'y a presque plus un seul poussin vivant. Mais les poussins de skuas, eux, ont toujours besoin de grandir. Et pour cela de manger les proies que leurs parents leur ramènent. Maintenant, leur croissance est mise en difficulté à leur tour car il n'y a plus rien à manger. Les skuas ont donc besoin d'une croissance normale des poussins de manchots pour que leurs poussins puissent avoir eux-mêmes une croissance normale. Les êtres vivant forment des chaînes de prédateurs et de proies qui dépendent les uns des autres.

Guillaume Lecointre & Annabelle Kremer.

Info

Yan Ropert-Coudert. Programme l’AMMER 1091

Ce programme s’inscrit dans la lignée des efforts internationaux visant à établir un suivi au long terme des performances de prospection alimentaire en mer d’espèces éco-indicatrices des changements environnementaux et de relier ces performances aux caractéristiques physiques du milieu. Les données consisteront à localiser des zones d’alimentation préférentielles des manchots Adélie de Dumont d’Urville et à quantifier leur effort de pêche en fonction de la disponibilité des ressources marines et de leurs aptitudes à la pêche qui dépendent de la qualité individuelle. En parallèle seront réalisés un suivi à terre (adultes et poussins) ainsi que des expériences ciblées visant à tester des hypothèses émises suites aux données récoltées grâce à l'Observatoire.