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Trémail thérapeutique

Par Marc Éleaume.

La banquise ne s’est pas ouverte cette année. Elle s’amenuise de jour en jour autour de DDU, mais plus loin vers le large elle semble garder toute son épaisseur. Il est donc impossible de mettre une embarcation à l’eau et de déployer nos instruments de pêche et de mesure. Nous sommes coincés. Il est de plus impossible, comme nous l’avions fait les années précédentes, de creuser des trous de phoques afin de glisser les plongeurs à l’eau en toute sécurité. La glace ne supporterait pas le poids de la tarière. Nous sommes donc doublement coincés.

Cependant, la banquise craque et se lézarde, ouvrant de loin en loin des « rivières ». Ces rivières sont des failles dans la glace qui laissent apparaître l’eau sous-jacente. Nous avons imaginé d’y glisser un filet trémail afin de capturer les spécimens dont nous avons besoin pour nos recherches.

Un filet trémail est un filet tendu sous l’eau dont la partie basse, plombée, touche le fond et la partie haute munie d’une ralingue flottante maintient le filet ouvert dans la colonne d’eau. Il est fait de trois nappes de filets montées en parallèle constituées de deux types de mailles, une petite au centre et une grande de chaque côté.

Préparation du filet trémail © MNHN / MSA / IPEV © IPEV/MSA/MNHN Préparation du filet trémail © MNHN / MSA / IPEV

Nous sommes donc partis chargés d’une caisse à poissons contenant le trémail, deux orins de 100 mètres préalablement lovés permettant d’ancrer le trémail à la surface, deux bouées fixées aux extrémités des orins et du leste pour aider le filet à rejoindre le fond. Le tout était chargé sur une pulka tirée par l’un de nous.

Orins équipés de bouées © MNHN / MSA / IPEV © IPEV/MSA/MNHN Orins équipés de bouées © MNHN / MSA / IPEV

Nous avions disposé le matériel de l’autre côté de lîle du Lion, vers le glacier. Nous avions repéré une rivière suffisamment large et longue pour permettre de poser notre trémail. Nous avons chargé la pulka derrière le Lion. Puis nous sommes partis à la recherche de la rivière.

La banquise craquait sous nos pas et parfois nous nous enfoncions jusqu’au mollet. Nous avons trouvé une première rivière, relativement proche du Lion, mais placée sur des fonds trop faibles de l’ordre de 40 mètres. Les rivières sont utilisés par les manchots qui, à ces profondeurs trop faibles, pourraient se prendre dans la maille et se noyer. Il nous fallait donc trouver une rivière ouverte sur des fonds plus importants.

Le trémail est chargé sur une pulka © MNHN / MSA / IPEV © IPEV/MSA/MNHN Le trémail est chargé sur une pulka © MNHN / MSA / IPEV

Mais la banquise devenait au mitan du jour de plus en plus inquiétante. Elle craquait sous nos pas, et parfois bougeait menaçant de se rompre et nous entrainer dans l’eau.

Nous avons donc décidé de partir à trois explorer plus loin, trouver un passage possible vers d’autres rivières plus propice à la pose d’un trémail. Nous sommes partis à la queue leu leu, vers l’île Bernard située entre nous et le glacier. Là, les fonds dépassent les 100 mètres. La banquise était tour à tour accidentée ou lisse, recouverte d’une croute de glace ou d’un talus de neige, rendant la progression difficile. Mais partout, toujours, elle craquait, menaçante.

Nous avons trouvé cette fameuse rivière ; nous l’avons explorée, cassé les glaçons qui en obstruaient l’accès. Mais il devenait de plus en plus évident que le jeu n’en valait pas la chandelle. A notre retour nous avons tous ensemble pesé le pour et le contre, considérant que notre progression à huit allait rendre encore plus dangereuse encore la banquise, et que la rivière, même si positionnée idéalement sur des fonds importants n’était pas assez longue pour poser le trémail en entier, nous avons décidé de ne pas risquer de tomber à l’eau.